Les mésaventures du vicaire Maurette et des Gourbitains
qui le défendirent.
Le 12 pluviose an II (31 janvier 1794), une troupe composée
du Commissaire du district de Tarascon Baby et de quelques municipaux
de Rabat, escortés de gendarmes et de gardes nationaux
a pour mission d'arrêter et de mener en prison notre Vicaire
Barthélémy Maurette. Bien qu'ayant prêté
serment sur la Constitution civile du clergé et fait soumission
au serment du 15 août 1792 (dit de «Liberté-Égalité»),
exigé de tout français recevant traitement ou pension
de l'Etat, cela ne lui assurait qu'une tranquillité relative.
En effet de part la loi du 26 août 1792, les Vicaires pouvaient
être condamnés à la déportation si
par «quelque acte extérieur» ils occasionnaient
des troubles venus à la connaissance des corps administratifs
ou si «leur éloignement de la paroisse était
demandé par six citoyens résidant dans le même
département».
En application d'un arrêté du district de Tarascon,
Maurette se trouva du nombre des vingt ecclésiastiques
dénoncés comme devant être tenus «de
sortir hors du royaume dans un délai de quinze jours».
Ayant pu faire la preuve qu'il n'avait point rétracté
les serments, il ne fut pas, cette fois, autrement inquiété.
Sa présence à Gourbit continua d'être tolérée
sous la permanente surveillance des autorités locales,
mais à la merci constante d'une nouvelle délation.
Ce 12 pluviose an II, la menace est effective. Laissons le Tribunal
Criminel de Foix nous décrire ce qu'il se passa.
Jugement du Tribunal Criminel de Foix,
23 floréval an II de la République une et indivisible
(12 mai 1794.)
Le directeur du jury déclare qu'il résulte des pièces
de la procédure, notamment de la dénonce faite par
Arispure, Maire de Rabat et François Prat, notable de la
même commune, et du procès verbal du district de
Tarascon, que le 12 pluviose dernier (31 janvier 1794), un commissaire
du district de Tarascon, certains membres de la municipalité
de Rabat, escortés de gendarmes nationaux et de gardes
nationaux, se transportèrent au lieu de Gourbit pour arrêter
le nommé Maurette, vicaire au chef-lieu, ils furent assaillis
par un grand nombre d'habitants de Gourbit à grand coup
de pierre et poursuivis jusqu'au village de Rabat ou à
peu près, que les pierres qu'on leur jetait atteignirent
le concierge de la commune qui reçut un grand coup à
la tête ; qu'il résulte encore des pièces
de la procédure et du procès verbal de l'administration
que Paul Estèbe Nau, baptiste Estèbe Eychène
Louge, Jean Builles Lanut, Etienne Buille Sarraire, Jean Galy
Maillé recouvreur, Jean Baptiste Builles Teynié,
François Estèbe Charlou, Jean Pierre Comte fils
d'Etienne, Baptiste Builles, Jean Danné dit Nivet et Jean
Ville, tous habitants de la commune de Gourbit, sont prévenus
d'être les auteurs de ce délit et d'avoir commis
méchamment et à dessin de faire échapper
ledit Maurette, sur quoi les jurés auront à se prononcer.
Une ordonnance de prise de corps est lancée par le directeur
du jury contre les accusés ci-dessus et ils sont enfermés
dans la maison de justice du département.
Après l'interrogatoire de chacun des inculpés, le
tribunal, après avoir entendu l'accusateur public et le
conseil des accusés, acquitte, sur la déclaration
des jurés, Paul Estèbe Nau, Baptiste Estèbe
Eychène Louge, Jean Builles Lanut, Etienne Builles Sarraire,
Jean Galy Maillé recouvreur, Jean Baptiste Builles Teynié,
Jean Danné dit Nivet, ordonne que ces deux derniers, à
cause de leur âge, soient remis à leurs parents et
remis en liberté.
Néanmoins, considérant qu'il importe de séquestrer
dans des maisons de détention des individus qui, par leur
action et leur conduite, se sont rendus évidemment suspects
; que dans un moment où toutes les vertus de l'extirpation
du fanatisme sont à l'ordre du jour, il serait dangereux
de rendre à la société des individus qui,
pour entretenir le fanatisme dans leur commune, ont voulu s'opposer
et se sont opposés à l'exécution des ordres
émanés des autorités constituées.
Considérant quoiqu'il a été déclaré
que Jean Builles Lanut, Etienne Buille Sarraire, Jean Galy Maillé
recouvreur, Jean Baptiste Builles Teynié n'avaient pas
jetté de pierres sur l'escorte dans de mauvaises intentions,
ils ne doivent pas moins être considérés comme
suspects de cela seul qu'il est établi par les débats
qu'ils étaient du nombre des attroupés, qu'ils ont
ramassé des pierres, qu'ils en ont lancé, qu'ils
ont dit qu'il fallait défendre le vicaire Maurette et qu'ils
se sont jacté de cette rébellion à la justice
comme d'une action louable.
Considérant qu'il est encore prouvé par les débats
que François Estèbe Charlou, Jean Pierre Comte et
Jean Ville non déclarés convaincus ont néanmoins
pris part à l'attroupement en ramassant des pierres et
en engageant les autres citoyens à les suivre au Sarrat
d'où l'on lançait les pierres ; Considérant
qu'il est de l'intérêt commun que tout le monde connaisse
que les mesures rigoureuses sont à l'ordre du jour contre
tous ceux qui, par des trames liberticides, voudraient en s'opposant
au progrès de la Raison entraver la marche de la Révolution.
Ordonne que Paul Estèbe Nau, Baptiste Estèbe Eychène
Louge, Jean Builles Lanut, Etienne Builles Sarraire, Jean Galy
Maillé recouvreur, Jean Baptiste Builles Teynié
seront retenus en état d'arrestation comme personnes suspectes
jusqu'à la paix dans la maison de détention du département
; que François Estèbe Charlou, Jean Pierre Comte
et Jean Ville y seront également retenus pendant six mois,
en exécution de l'article 10 de la loi du 17 septembre
1793.
Ordonne que le présent jugement sera imprimé en
400 exemplaires et affiché dans toutes les communes du
département.
Signatures : Soulié président, Cassaing, Gouazé,
Jambert, juges des districts séants à Pamiers, Saint
Lizier, Foix, de service au tribunal criminel.
Quel accueil de la part des Gourbitains aux exécuteurs
de justice! Se doutaient-ils qu'ils pouvaient arrêter le
«progrès de la Raison en marche ? »
Que devint notre vicaire ?
Décidément, les Gourbitains tenaient à leur
vicaire ! C'est ainsi qu'il échappa à la troupe
venue l'arrêter. Il trouva probablement refuge dans les
environs de sa paroisse pour réapparaître à
la première accalmie, après le procès de
son défenseur. Nous retrouvons sa trace le 12 pluviose
an III (31 janvier 1795) l'administration du district lui accordant
un traitement de 768 livres pour ses fonctions de ministre du
culte entre le 24 décembre 1792 et le 10 pluviose an II
(29 janvier 1794), deux jours avant l'épisode de son arrestation
manquée. Mais il dut se rendre à la résolution
de se retirer à Biert, son pays natal pour se cacher plus
aisément. On le trouve le 27 primaire an VI (17 décembre
1797) sur l'état des prêtres autorisés à
rester en France ; il résidait alors à Massat. Il
eut, pour on ne sait quelle raison, de la peine à se fixer
dans une paroisse, il en occupa au moins sept (Crampagna 1807,
Mérens 1808, Bédeillac 1810, Aulus (1816-1820),
Baliard, Montgauch 1826 et Eheheil) avant de se retirer à
Saint-Girons où il mourut le 17 février 1833.
Sur une pièce de 1825 son nom porte en note : «ancien
constitutionnel, rétracté de bonne heure ; sa conduite
a toujours été bonne».